Volume 6, numéro 4, automne 2015
Isabelle Lacharme et Marie Alderson
Parmi les 208 éleveurs nomades rencontrés dans les déserts de Gobi au sud de la Mongolie (2014), 90 ont accepté de répondre à un questionnaire sur la douleur musculo-squelettique, inspiré du questionnaire nordique de Kuorinka (1994) et traduit en langue mongole. La douleur était définie comme « une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, résultant d’une lésion tissulaire réelle ou potentielle ou décrite comme telle » (IASP, 1982). La gravité de la douleur musculo-squelettique a été évaluée en termes de localisation et de composantes multiples, de chronicité en fréquence et en durée (Navez et coll., 2000; Lacharme et Alderson, 2013).
Les troubles musculo-squelettiques (TMS) signés par de la douleur dépendaient de l’activité de travail et des conditions de vie : chute de cheval ou de moto en rassemblant les troupeaux, efforts physiques intenses en portant les toiles de tente, postures et mouvements exigeants à la tonte des moutons, répétitivité des tâches quotidiennes (puiser l’eau, traire les chèvres, préparer la viande et les fromages). Les TMS étaient significativement reliés à l’âge moyen et avancé des personnes (p=0,027) : entre 20 et 29 ans (40 % des participants), 30 et 59 ans (60 %), les plus de 60 ans (94 %).
Une silhouette du corps humain situait 14 localisations possibles de la douleur musculo-squelettique. En fait, 90 % des personnes ayant de la douleur ressentaient de la douleur à de multiples localisations (11/14 max.), à dominance droite (72/84 droitiers). La douleur aux épaules ressortait comme étant significativement reliée au genre (p=0,036) : les hommes portant sur les épaules des charges lourdes (de 20 à 35 kg). La douleur au dos touchait davantage les hommes et celle aux genoux davantage les femmes (figure 1).
Figure 1 : Répartition des localisations de la douleur chez les éleveurs nomades mongols
Les composantes de la douleur musculo-squelettique référaient au modèle circulaire de la douleur (Loeser, 1980; adapté par Marchand, 1998) : physique, émotionnelle, comportementale, cognitive. Elles avaient un impact possible sur le caractère, le sommeil, la vie quotidienne, le travail, les relations familiales et conjugales, les études et la pensée. En fait, 51 % des personnes ayant de la douleur musculo-squelettique reconnaissaient ses composantes et impacts multiples.
La chronicité de la douleur musculo-squelettique était évaluée en fréquence (toujours, souvent, rarement, exceptionnellement) et en durée (moins de 3 mois, de 3 à 6 mois, de 6 à 12 mois, de 1 à 2 ans, plus de 2 ans). En fait, 60 % des personnes ayant de la douleur signalaient une fréquence entre « souvent » et « toujours » et 64 % des personnes souffraient depuis plus de 6 mois, dont la moitié depuis plus de 2 ans.
Tableau 1 : Évaluation de la gravité de la douleur musculo-squelettique, chez les éleveurs nomades mongols
Gravité de la douleur musculo-squelettique |
|||
hommes |
femmes |
% |
|
90 participants volontaires |
48 |
42 |
43 |
84 personnes avec douleur musculo-squelettique |
46 |
38 |
93 |
Facteurs de gravité |
|||
76 p. en localisations multiples |
43 |
33 |
90 |
43 p. en composantes multiples |
25 |
18 |
51 |
50 p. en fréquence (chronicité) |
26 |
24 |
60 |
54 p. en durée (chronicité) |
30 |
24 |
64 |
Niveaux de gravité |
|||
37 p. avec 3 facteurs |
21 |
16 |
44 |
23 p. avec 2 facteurs |
14 |
9 |
27 |
12 p. avec 1 facteur |
7 |
5 |
14 |
La gravité de la douleur musculo-squelettique est généralement retenue en présence de deux ou trois facteurs. Elle touchait 71 % des éleveurs nomades ayant de la douleur musculo-squelettique.
Les résultats de cette étude exploratoire sur la douleur musculo-squelettique des éleveurs nomades mongols peuvent se comprendre par leurs conditions de vie : accès difficile au médecin du dispensaire et à des médicaments à la pharmacie du village le plus proche, manque d’informations sur les règles ergonomiques du travail et sur la douleur musculo-squelettique. Les retombées prévues de cette étude se présenteront sous forme de capsules télévisées de sensibilisation à la douleur et d’informations sur les règles ergonomiques de prévention des troubles musculo-squelettiques.
Isabelle Lacharme*, doctorante en psychologie (UQTR) : recherche en ergonomie
Marie Alderson, professeure titulaire, faculté des sciences infirmières, Université de Montréal.
Références
*Isabelle Lacharme est une infirmière française, ayant exercé pendant 20 ans son métier à Grenoble, surtout en bloc opératoire et aux urgences. Elle est venue en Abitibi-Témiscamingue en 2001 pour valider un diplôme universitaire français sur la douleur, puis a demandé sa résidence permanente canadienne (2004). Elle s’est installée en région pendant neuf ans (de 2001 à 2010) et a travaillé en tant qu’assistante de recherche et de cours en ergonomie à l’UQAT, en tant que kinésiologue et professeur de yoga. Elle a obtenu une maîtrise en kinanthropologie (UQAM, 2010) puis déposé un doctorat en psychologie (UQTR, 2015), en partenariat avec l’UQAT. Elle s’intéresse à la douleur et à la souffrance des soignants au travail, ses terrains de recherche étant les CHSLD en Abitibi-Témiscamingue. Elle est partie en 2014 en Mongolie, suivant une démarche humanitaire et de recherche sur la douleur musculo-squelettique, en attente de l’évaluation de sa thèse de doctorat.
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