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CLINIQUEMENT VÔTRE

CLINIQUEMENT VÔTRE

Étude exploratrice sur la gravité de la douleur musculo-squelettique des nomades mongols

  
Isabelle Lacharme et Marie Alderson

Parmi les 208 éleveurs nomades rencontrés dans les déserts de Gobi au sud de la Mongolie (2014), 90 ont accepté de répondre à un questionnaire sur la douleur musculo-squelettique, inspiré du questionnaire nordique de Kuorinka (1994) et traduit en langue mongole. La douleur était définie comme « une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, résultant d’une lésion tissulaire réelle ou potentielle ou décrite comme telle » (IASP, 1982). La gravité de la douleur musculo-squelettique a été évaluée en termes de localisation et de composantes multiples, de chronicité en fréquence et en durée (Navez et coll., 2000; Lacharme et Alderson, 2013).

Les troubles musculo-squelettiques (TMS) signés par de la douleur dépendaient de l’activité de travail et des conditions de vie : chute de cheval ou de moto en rassemblant les troupeaux, efforts physiques intenses en portant les toiles de tente, postures et mouvements exigeants à la tonte des moutons, répétitivité des tâches quotidiennes (puiser l’eau, traire les chèvres, préparer la viande et les fromages). Les TMS étaient significativement reliés à l’âge moyen et avancé des personnes (p=0,027) : entre 20 et 29 ans (40 % des participants), 30 et 59 ans (60 %), les plus de 60 ans (94 %).

Facteurs de gravité de la douleur

Une silhouette du corps humain situait 14 localisations possibles de la douleur musculo-squelettique. En fait, 90 % des personnes ayant de la douleur ressentaient de la douleur à de multiples localisations (11/14 max.), à dominance droite (72/84 droitiers). La douleur aux épaules ressortait comme étant significativement reliée au genre (p=0,036) : les hommes portant sur les épaules des charges lourdes (de 20 à 35 kg). La douleur au dos touchait davantage les hommes et celle aux genoux davantage les femmes (figure 1).

Figure 1 : Répartition des localisations de la douleur chez les éleveurs nomades mongols

Les composantes de la douleur musculo-squelettique référaient au modèle circulaire de la douleur (Loeser, 1980; adapté par Marchand, 1998) : physique, émotionnelle, comportementale, cognitive. Elles avaient un impact possible sur le caractère, le sommeil, la vie quotidienne, le travail, les relations familiales et conjugales, les études et la pensée. En fait, 51 % des personnes ayant de la douleur musculo-squelettique reconnaissaient ses composantes et impacts multiples.

La chronicité de la douleur musculo-squelettique était évaluée en fréquence (toujours, souvent, rarement, exceptionnellement) et en durée (moins de 3 mois, de 3 à 6 mois, de 6 à 12 mois, de 1 à 2 ans, plus de 2 ans). En fait, 60 % des personnes ayant de la douleur signalaient une fréquence entre « souvent » et « toujours » et 64 % des personnes souffraient depuis plus de 6 mois, dont la moitié depuis plus de 2 ans.

Tableau 1 : Évaluation de la gravité de la douleur musculo-squelettique, chez les éleveurs nomades mongols

Gravité de la douleur musculo-squelettique
chez les éleveurs nomades dans les Gobi en Mongolie

 

hommes

femmes

%

90 participants volontaires

48

42

43

84 personnes avec douleur musculo-squelettique

46

38

93

Facteurs de gravité

76 p. en localisations multiples

43

33

90

43 p. en composantes multiples

25

18

51

50 p. en fréquence (chronicité)

26

24

60

54 p. en durée (chronicité)

30

24

64

Niveaux de gravité

37 p. avec 3 facteurs

21

16

44

23 p. avec 2 facteurs

14

9

27

12 p. avec 1 facteur

7

5

14

 

Niveaux de gravité

La gravité de la douleur musculo-squelettique est généralement retenue en présence de deux ou trois facteurs. Elle touchait 71 % des éleveurs nomades ayant de la douleur musculo-squelettique.

Les résultats de cette étude exploratoire sur la douleur musculo-squelettique des éleveurs nomades mongols peuvent se comprendre par leurs conditions de vie : accès difficile au médecin du dispensaire et à des médicaments à la pharmacie du village le plus proche, manque d’informations sur les règles ergonomiques du travail et sur la douleur musculo-squelettique. Les retombées prévues de cette étude se présenteront sous forme de capsules télévisées de sensibilisation à la douleur et d’informations sur les règles ergonomiques de prévention des troubles musculo-squelettiques.

  

Isabelle Lacharme*, doctorante en psychologie (UQTR) : recherche en ergonomie
Marie Alderson, professeure titulaire, faculté des sciences infirmières, Université de Montréal.

Références

  • IASP (1982). International Association for the Study of Pain. Définitions de la douleur. Pain, 14, p. 205-206.
  • Kuorinka, I.; Jonsson, B.; Kilbom, A. et coll. (1994). Analyse des problèmes de l’appareil locomoteur : questionnaire scandinave. Documents pour le médecin du travail, 58, p.167-170.
  • Lacharme, I. (2013 et 2014). Comment évaluer la gravité de la souffrance au travail? De la douleur à la souffrance, une méthode d’application chez les soignants. Tendances infirmières, Cyberjournal de l’Ordre régional des infirmières et infirmiers de l’Abitibi-Témiscamingue, 4(4) et 5(1). http://oriiat.oiiq.org/volume-04-numero-04/tendances-infirmieres et http://oriiat.oiiq.org/volume-05-numero-01/tendances-infirmieres
  • Laurent, B. (2001). Mémoire de la douleur. Revue Neurophychologie, 11, p.197-219.
  • Loeser, J.D. (1980). Perspectives on pain. Padgham C., Hedges A. et Turner P. Edition, Clinical Pharmacologie et Therapeutics, Baltimore, Université Park Press, 314 p.
  • Navez, M., Laurent, B., Peyron, R, Queneau, P. (2000). Données physiopathologiques concernant les douleurs et les analgésiques et synopsis pour l’utilisation des antalgiques. Dans P. Queneau et G. Ostermann (Eds.), Le médecin, le malade et la douleur, Masson : p.11-28.

*Isabelle Lacharme est une infirmière française, ayant exercé pendant 20 ans son métier à Grenoble, surtout en bloc opératoire et aux urgences. Elle est venue en Abitibi-Témiscamingue en 2001 pour valider un diplôme universitaire français sur la douleur, puis a demandé sa résidence permanente canadienne (2004). Elle s’est installée en région pendant neuf ans (de 2001 à 2010) et a travaillé en tant qu’assistante de recherche et de cours en ergonomie à l’UQAT, en tant que kinésiologue et professeur de yoga. Elle a obtenu une maîtrise en kinanthropologie (UQAM, 2010) puis déposé un doctorat en psychologie (UQTR, 2015), en partenariat avec l’UQAT. Elle s’intéresse à la douleur et à la souffrance des soignants au travail, ses terrains de recherche étant les CHSLD en Abitibi-Témiscamingue. Elle est partie en 2014 en Mongolie, suivant une démarche humanitaire et de recherche sur la douleur musculo-squelettique, en attente de l’évaluation de sa thèse de doctorat.

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